Tunisie

Le meilleur de la cuisine tunisienne

Le meilleur de la cuisine tunisienne

En Tunisie, on mange avec les doigts, avec le cœur, avec la mémoire. Chaque plat raconte une histoire, celle d’un peuple aux racines multiples : berbères, arabes, juives, andalouses, ottomanes, françaises. Des souks animés aux cuisines familiales, des fêtes de village aux tablées du dimanche, la cuisine tunisienne mêle chaleur, générosité et inventivité. Elle est méditerranéenne et saharienne, épicée mais nuancée, urbaine et rurale à la fois. Les recettes se transmettent comme des secrets, de mère en fille, de voisin en voisin, de mariage en mariage. Plongée gourmande au cœur des délices de la cuisine tunisienne.

 

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L'initiation : du souk aux casseroles

Avant de goûter, il faut sentir. Et pour cela, rien ne vaut une plongée dans les marchés. À Tunis, Sfax ou Kairouan, les souks débordent d’épices en pyramides rouges et dorées, de bouquets de menthe fraîche, d’agrumes éclatants, d’olives noires comme la nuit. On y achète au bruit : celui du marchand qui chante les vertus de ses merguez piquantes ou de son couscous roulé à la main. C’est ici que commence le festin, car la cuisine tunisienne est indissociable de ses marchés, de leurs parfums et de leur verbe haut.

Le cuisinier y cueille son inspiration au fil des saisons : petits pois au printemps, piments et tomates en été, épinards et navets en hiver. Les senteurs de coriandre fraîche, d’ail écrasé, de carvi, de curcuma et de fenugrec s’y mêlent en un parfum enivrant, presque sacré. Tout ici parle d’abondance, d’amour du goût, de savoir-faire ancestral. Même la harissa, incontournable pâte rouge au piquant mesuré, y est vendue au poids, selon des recettes jalousement gardées.

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Les entrées : prélude éclatant de la fête des saveurs

À table, tout commence par une profusion. Sur un plateau d’argent ou une nappe brodée, on dépose une farandole d’amuse-bouche aussi typiques que généreux. La méchouia, salade brûlante de soleil, associe poivrons grillés, tomates rôties, ail et huile d’olive. Elle se déguste avec du pain ou roulée dans une brick, fine feuille de pâte frite, qui croque sous la dent avant d’exploser en arômes. La brick, justement, relève presque de l’art : on la farcit à l’œuf, au thon, à la viande hachée ou même au fromage. L’huile frémit, la pâte se dore et l’on obtient une bouchée croustillante à la gourmandise immédiate. À Tunis, certains la dégustent tous les jours du ramadan, juste après la prière du soir. Même dans la plus simple des cuisines, la fête s’invite comme un souffle ancien, discret mais essentiel.

La chakchouka, parfois servie en entrée, est une poêlée de légumes en sauce relevée, où les œufs pochés viennent se lover. On y sent l’Espagne, on y voit l’Orient. Elle est sœur de l’ojja, plus épicée encore, souvent garnie de merguez, ces saucisses de bœuf ou d’agneau au paprika et au piment, qui réveillent les palais endormis. On y plonge le pain encore chaud, on y laisse fondre un coin de fromage, et le monde entier semble fondre avec. Quant au lablabi, ce ragoût de pois chiches parfumé au cumin et noyé d’huile d’olive, il est la soupe du peuple, le plat de l’aube ou des lendemains difficiles. On y ajoute du pain rassis, de la harissa – bien sûr – et parfois même un œuf ou du thon. Riche, humble, infiniment réconfortant, il se mange dans des gargotes populaires où l’on vient se ressourcer, le matin ou au creux de la nuit.

Birgit Sfat

 

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Le couscous : roi des fêtes et des dimanches

Incontournable. Sacré. Chaque région, chaque famille, chaque grand-mère a son couscous. Il peut être au poisson dans le Sahel, aux légumes dans le Nord-Ouest, à la viande séchée dans le Sud. Il peut être rouge, vert, jaune, doux, piquant. Mais il reste perpétuellement un symbole de partage. À Sidi Bou Saïd ou dans un village berbère de Matmata, on le sert dans de grands plats en terre cuite, autour desquels s’assemblent les générations. Le bouillon en sauce vient napper la semoule légère, roulée à la main avec savoir-faire ancestral et patience. On y trouve des pois chiches, des carottes, du potiron, des navets et, selon l’inspiration du cuisinier, de la kefta, du mouton ou même du poulpe.

Parfois, le couscous devient sucré : agrémenté de raisins secs, de cannelle, de sucre glace, il accompagne une assiette de lait caillé ou une assida, en version festive. C’est le plat du vendredi, du retour de la mosquée, des déjeuners interminables. Il parle de transmission, de solidarité. Il console, il célèbre, il réunit.

Birgit Sfat

 

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Tajines, msoki et autres merveilles mijotées

À ne pas confondre avec le tajine marocain, le tajine tunisien est une sorte de quiche sans pâte, dense et moelleuse, à base d’œufs, de viande hachée, de pommes de terre et d’herbes. Il se découpe en cubes dorés que l’on sert aussi bien en pique-nique qu’en plat principal. Il existe des versions au thon, au poulet, à la cervelle, aux épinards, parfois relevées de fromage ou de menthe ciselée : chaque bouchée est une ode à l’ingéniosité culinaire. Autre trésor oublié : le msoki, plat printanier par excellence, mijoté de viande d’agneau, de petits pois, de fèves et d’herbes fraîches. L’agneau s’effiloche doucement, les légumes fondent, les parfums explosent. Ce plat se déguste souvent pour célébrer le retour des beaux jours, avec un pain maison encore chaud.

Plus énigmatique, la mloukhia. Cette sauce sombre, presque noire, préparée avec une poudre de corète séchée, mijote longuement avec de la viande. Elle est dense, profonde, presque mystique. Certains y voient une influence juive, d'autres la mémoire du désert. C’est un plat de patience, d’attente et de silence. Elle nécessite une journée entière de préparation, parfois deux. Mais la récompense est à la hauteur : un goût inoubliable, unique, qui évoque les entrailles de la Terre.

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Des pâtes, oui, mais à la tunisienne

Vous l’ignoriez peut-être, mais la Tunisie est aussi un pays de pâtes. On y cuisine la rechta, longues nouilles fines cuites à la vapeur souvent accompagnées de pois chiches et d’un bouillon léger, pouvant être parfumée au safran. Elle est populaire dans les mariages, servie dans de grands plats de cuivre. Légère, digeste, elle accompagne souvent un ragoût de viande ou de légumes en sauce. La madfouna, elle, est une cousine plus secrète : sorte de lasagne rustique, cuite en cocotte, mêlant couches de pâtes fraîches, viande mijotée et sauce épicée. On la trouve dans les régions du Sud, au cœur des oasis et des cités anciennes.

Les macaronis en sauce – attention, sauce rouge, piquante, dense – sont un classique des cantines tunisiennes. Agrémentés de harissa, de kefta ou de morceaux de foie, ils se dégustent brûlants, souvent avec un morceau de pain pour saucer jusqu’à la dernière goutte. Un plat simple mais redoutablement efficace.

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Côté sucré : entre l'Orient et l'Italie

Quand vient l’heure des douceurs, la Tunisie se pare de miel, d’amandes, d’eau de rose. L’assida zgougou, crème de graines de pin d’Alep, est servie à la naissance des enfants – douce et dense, décorée de fruits secs et de confitures. Ce dessert symbolique, préparé avec ferveur, est autant un rite qu’un régal. Les makrouds, fourrés aux dattes et frits, rappellent les souks de Kairouan. Les cornes de gazelle, les samsas au miel, les baklavas aux pistaches racontent l’Orient, tandis que les influences italiennes se glissent discrètement dans certains biscuits secs au beurre, parfois saupoudrés de sucre glace ou farcis de confiture. De temps à autres, une pastilla sucrée-salée s’invite au menu, fine et croustillante, garnie d’amandes, de cannelle et de volaille : un clin d’œil aux saveurs andalouses sublimées à la sauce tunisienne.

Et pour l’étrange mais délicieux, goûtez le kaki, ce fruit orange qui se glisse parfois sur les marchés d’automne. Ou laissez-vous surprendre par une pinsa revisitée à la tunisienne, mi-focaccia mi-galette, garnie d’herbes locales, d’olives noires, et d’un soupçon de fromage de brebis. Chaque bouchée, sucrée ou salée, humble ou raffinée, dit quelque chose d’un pays où la cuisine reste un art du lien et de la transmission. Et aujourd’hui plus que jamais, de jeunes chefs et cheffes, à Tunis, à Djerba ou à Paris, réinventent ces traditions avec audace, mêlant la street food au terroir, les marchés d’hier aux saveurs de demain. Une effervescence culinaire en pleine ébullition – et terriblement contagieuse.

Ahmed/Unsplash.com

 

Par

JÉRÔME CARTEGINI

 

Photographie de couverture : Martin Westlake/Gallery Stock