Il était une fois la réalisation d’un rêve un peu fou : le road-movie d’une famille de quatre dans l’Ouest américain. Le Far West, ses mythes, ses héros, ses canyons et ses déserts. Moteur… Action !
Tout commence à LAX. L’odeur des fast-foods de l’aéroport nous met tout de suite à l’heure américaine : Oh my God! Nous sommes à Los Angeles. En récupérant la voiture, nous faisons la connaissance d’une tribu au format sensiblement identique au nôtre – deux enfants de 14 et 6 ans – avec laquelle nous partageons visiblement un bout d’itinéraire. Nous échangeons nos numéros. Qui sait, le désert nous réunira peut-être ?
Alors qu’à l’avant nous nous efforçons de garder la tête froide face aux highways tentaculaires reliant les collines à l’océan, la banquette arrière, elle, est déjà en surchauffe. S’il existe une ville à l’image de la démesure américaine, c’est bien
L.A. Pulp Fiction, Drive, Blade Runner, La La Land… Nous vivons le mythe. Dans la chambre, on se colle à la grande baie vitrée, du plus petit au plus grand, comme les Dalton, pour admirer la vue sur les collines d’Hollywood. Dans leurs têtes en ébullition, nous voyons déjà tourbillonner les milkshakes gargantuesques et les casquettes de baseball, les stars du Walk of Fame et les palmiers de Sunset Boulevard. Nous voulons visiter le Lacma (Los Angeles County Museum of Art) et fouler l’iconique Mulholland Drive. Ils veulent voir la plage de Malibu et faire du skate à Venice Beach. Alimentées en smash burgers, jukebox vintage et glaces XXL, les négociations vont bon train. Les studios de cinéma, le street art de Downtown et les dunks des Lakers au Staple Center mettent tout le monde d’accord. À moins que ce ne soit, déjà, l’appel irrésistible de la route.
“Une fois en route, tout se simplifie.” Journal de voyage, Alexandra David-Néel
Cités-dortoirs et champs d’éoliennes s’effacent peu à peu à la faveur des étendues minérales du désert des Mojaves. Message de nos doubles : ils sont dans la Vallée de la Mort, le point le plus chaud d’Amérique du Nord. Nos enfants lèvent un sourcil perplexe. Cela sonne comme un passage infranchissable de jeu vidéo. Death Valley – GAME OVER. Puis nous parvient une photo d’un chaos de roches volcaniques, pics et crevasses beiges, blancs, rouges. Cela rappelle à la petite dernière certaines œuvres du Getty Center de L.A. Quand son frère lit “Welcome to Fabulous Las Vegas!” sur un panneau multicolore, c’est le branlebas de combat à l’arrière. On s’agite, on se tord le cou, on veut ouvrir les vitres pour apercevoir en entier les hôtels géants qui s’alignent le long du Strip et, avec eux, la tour Eiffel, les canaux de Venise, les pyramides d’Égypte, les colonnes de la Rome antique… Sans oublier les tyroliennes, les montagnes russes et cette foule hétéroclite qui rivalise d’exubérance. Dans les déserts d’ici apparaissent décidément de drôles de mirages. Sur la moquette kitsch des casinos, sous 15°C de clim, le brouhaha électronique électrise tout le monde, le mythique show eau/son/lumière du Bellagio aussi. Ardent, le soleil n’épargne personne et les piscines de l’hôtel deviennent rapidement notre lieu préféré sur terre. Après un ultime tour de Strip, les enfants, le front collé à la fenêtre de la chambre, scrutent par-delà les buildings : le désert.
“J’ai toujours aimé le désert. (…) On ne voit rien. On n’entend rien. Et cependant quelque chose rayonne en silence…” Le Petit Prince, Antoine de Saint-Exupéry
Le halo des néons peine à disparaître dans le rétroviseur. Bercée par le ronronnement du moteur, la banquette arrière s’est assoupie. Au réveil, elle voit défiler, incrédule, les paysages flamboyants du Valley of Fire State Park, dont les formations rocheuses aux zébrures ocre ressemblent par endroits à un gigantesque cake marbré. Les arches et les colonnes aux courbes curieuses évoquent tout sauf le désert qu’ils avaient imaginé. C’est qu’il y en a beaucoup, ici, des déserts. Celui du Zion National Park, en Utah, est creusé de gorges spectaculaires. C’est le Grand Canyon ? Non, pas encore. Mais face à ces panoramas orangés aux roches érodées par la vie, on comprend la confusion. À l’orée du parc, ils découvrent avec enthousiasme la suite du programme : glamping ! La tente est immense et tournée vers les montagnes de Zion. Il est d’ailleurs temps d’en savoir un peu plus : nous partons à vélo à l’assaut du Pa’rus Trail qui longe la Virgin River. De retour au camp, une fois la nuit tombée, on allume les bougies. Assis sur la terrasse, on admire les étoiles qui semblent beaucoup plus nombreuses que dans notre ciel à nous.
Nurial Val/Coke Bartrina
“Nous allons tête baissée au-devant d’une nouvelle et folle aventure sous le ciel.” Sur la route, Jack Kerouac
Les départs sont de moins en moins durs, nous embrassons la magie du road-trip : se consoler de quitter un lieu en songeant déjà au prochain. En l’occurrence, un canyon très étroit au nom rigolo. Peek-A-Boo est un paradis pour les photographes amateurs que nous sommes et pour nos Indiana Jones en herbe. Dans ce décor grandiose, on scrute chaque roche pour tenter d’y apercevoir des traces de dinosaures. Faisaient-ils aussi du surf sur les dunes ?
Juché sur une sandboard, notre ado glisse avec aisance sur le sable de Coral Pink Sand Dunes, étonnant petit Sahara. Nous aidons la petite à descendre elle aussi la colline de sable chaud. Sur la route, nous allumons la radio. “Well I’m going back to Utah / Utah is the place where I want to be Utah / You tell me ’bout all the places that you / Wish you could see…” La pop seventies de The Osmonds nous porte vers Bryce Canyon. Non, toujours pas le Grand Canyon, mais un lieu d’une autre planète, tout droit sorti de l’imagination de George Lucas (Star Wars) ou Frank Herbert (Dune). Une forêt de hoodoos, cheminées de pierres rouges sculptées comme de la dentelle, âgées de millions d’années. Cela nous laisse pensifs, et c’est en silence que nous abordons la panoramique Scenic Byway 12, l’une des plus belles routes des États-Unis. Nous roulons à travers des vallées encaissées, d’infinies étendues désertiques et des villes du Far West figées dans le temps. Émerveillés, nous en avons presque perdu nos réɦexes de survie : notre troupe d’explorateurs meurt de faim. Heureusement, il se trouve toujours aux États-Unis, même au beau milieu du désert, une bonne âme pour ravitailler les aventuriers en burgers. Celui de notre petite dernière est plus gros qu’elle. En guise de dessert nous parvient un message qui met les enfants en joie : l’autre petite famille nous attend à Torrey !
“Les vrais compagnons, ce sont les arbres, les brins d’herbes, les rayons du soleil, les nuages qui courent dans le ciel (…), la mer, les montagnes. C’est dans tout cela que coule la vie (…)” Journal de voyage t. 1, Alexandra David-Néel
Soixante kilomètres plus tard, au milieu des déserts rouges de l’Utah, ce village à l’esprit pionnier apparaît comme une oasis de verdure et d’apparente tranquillité. Nous peinons à contenir les élans des kids sur lesquels les mots “motel” et “piscine” ont eu un effet euphorisant. En un temps record, les voilà dans l’eau, absorbés par le récit de leurs amis : le Sand Hollow State Park, l’immense réservoir, les baignades et l’aura mystique de la forêt pétrifiée. De bon matin, au- dessus d’une généreuse tour de pancakes, nous prévoyons tous ensemble les explorations à venir. À nous le Capitol Reef National Park, connu pour ses grands espaces, ses montagnes, ses canyons et ses forêts. Sur place, nous sommes presque seuls. Nous grimpons vers le Goosenecks Overlook, perché à 150 mètres au-dessus de la rivière Sulphur Creek.
Julia Nimke
Au détour d’un sentier, les petits s’écrient : “Là, un château !” Nous levons les yeux. En effet, The Castle, immense formation rocheuse multicolore, ressemble à s’y méprendre aux remparts d’un château. Plus loin, face aux parois rocheuses recouvertes de pétroglyphes (de silhouettes d’hommes et d’animaux) par les Fremont, ils n’en reviennent pas : des dessins vieux de mille ans, vraiment ?
Notre joyeux convoi reprend la direction de l’est en longeant un temps la Fremont River qui a donné son nom au peuple dessinateur. La route 24 serpente dans la Goblin Valley, peuplée d’amusants gnomes de pierre. Un décor de science-fiction. La région a d’ailleurs accueilli de nombreux tournages : Thelma et Louise, Indiana Jones et, plus récemment, Star Wars, épisode 1 : la Menace fantôme. Nous ne résistons pas à la tentation de lancer l’épique thème de la saga signé John Williams alors que nous traversons Moab à bord de notre Faucon Millenium/4 x 4. Nous posons nos valises dans de petits chalets western au sein d’un ranch immense, au bord du Colorado. Certains filent tout droit à la piscine, d’autres vont saluer les chèvres et les ânes, les derniers se mettent en quête du spa. Le soir, autour du feu de camp, les enfants s’essaient à l’art très américain des s’mores, de petits sandwichs de biscuits, chocolat et marshmallows grillés. Il y en aura aussi, au Grand Canyon ?
“But no matter, the road is life.” Sur la route, Jack Kerouac
Tandis que nos amis partent pour le parc de Canyonlands et ses paysages lunaires, nous prenons place dans un petit raft pour descendre le Colorado, entourés par les immenses falaises rouges du canyon. Les enfants sont étonnés par la couleur de l’eau rendue brune par le limon. Quand on se baigne, on ne voit plus son corps, trop bizarre ! Sans parler des rapides, quelles sensations ! À peine remis de nos émotions, nous prenons la direction de l’emblématique Monument Valley, traçant notre route à travers le “painted desert”. Un tableau minéral rouge, orange, rose, gris. Ce qui impressionne vraiment les enfants, ce sont ces énormes monolithes orange qui se dessinent à l’horizon. Cela nous évoque les aventures de John Ford et John Wayne. John qui ? Depuis, les Indiens ont pris leur revanche sur les cow- boys et le sanctuaire est désormais géré par les Navajos. La petite s’interroge : mais qui les a fabriqués ? Le guide, membre de la tribu, nous mène jusqu’à des vestiges du peuple des Anasazis et de mystérieux lieux de cérémonie – de vraies histoires d’Indiens.
Gantas Vaiciulenas/Unsplash
Puis, nous mettons le cap sur Page, parcourant les réserves des Hopis et des Navajos. À l’arrivée, le panorama est inédit. Qui a inondé le désert ? Il s’agit du Lake Powell, site phare du Far West, un gigantesque lac artificiel (300 kilomètres de long). À l’hôtel, les enfants continuent à lorgner le lac depuis la piscine. Nous les rassurons : demain, nous le verrons d’encore plus près.
Le buffet du petit déjeuner est indécent et nous les observons, un peu ahuris, emplir leurs assiettes de hashbrown, bacon, œufs brouillés et gaufres noyées sous le sirop d’érable. À Wahweap Marina, nous prenons possession de notre houseboat. Les kids sont surexcités, et nous un peu anxieux à l’idée de manœuvrer cette maison ɦottante. Une fois l’engin bien en main, nous nous frayons un chemin à travers les méandres du lac aux quatre-vingt-seize canyons. Notre destination : le Rainbow Bridge, une arche de roche enjambant le lac, l’un des plus grands ponts naturels au monde. L’après-midi, nous jetons l’ancre à l’ombre d’un canyon pour nous balader en paddle. Les chutes se multiplient et les fous rires nous sont renvoyés en écho par les immenses murs naturels. Le soir, nous jouons aux cartes sur le pont supérieur. On peut rester ici pour toujours ? De retour sur la terre ferme, nous restons évasifs quant à notre prochaine destination. À notre arrivée à l’hôtel à Tusayan, en Arizona, le réceptionniste nous accueille d’un “Hey folks, is it your first time in the Grand Canyon?” L’heure a sonné.
“Je ne me suis jamais sentie aussi éveillée.” Thelma et Louise, de Ridley Scott
Rachael Wright/Gallery Stock
Nous n’avons eu aucun mal à réveiller les enfants qu’un élan extraordinaire a projetés hors du lit. Seules dix minutes de route nous séparent du site le plus mythique de l’Ouest américain. Lorsque nous avançons sur le skywalk, balcon de verre accroché à la falaise 1 200 mètres au-dessus du ɦeuve, un rêve familial se réalise. Prouesse tellurique de 443 kilomètres de long et 30 de large, le Grand Canyon ne semble pas assez grand pour contenir notre bonheur. Les enfants sont scotchés. DiAcile de les faire quitter ce perchoir. Le long du Trail of Time, nous remontons aux origines géologiques du site, à travers les différentes couches de roche. “C’est comme les cercles dans le tronc des arbres ?” Un peu, mais ici les traits représentent des millions d’années. À notre retour à Tusayan, l’air est si chaud que l’hôtel a organisé une soirée Poolmovie, le cinéma sans sortir de la piscine. Sur l’écran, Rango, lézard de ville égaré dans le désert des Mojaves, voit sa vie changer lorsqu’il rencontre l’Esprit de l’Ouest. True story.
Par
ELÉONORE DUBOIS
Photographie de couverture : Claire Guarry