Culture

À la rencontre du peuple Sami

À la rencontre du peuple Sami

Le voyage en Laponie conduit chez les Sami. Et non chez les Lapons. La différence est plus que de courtoisie. La bonne nouvelle, c’est que ce peuple premier de la neige et du renne ne relève plus exclusivement de l’ethnologie (on se rappelle Anta, dans la collection Terre humaine de Jean Malaurie). Après des siècles d’incompréhension et de déconsidération – il y a eu, c’est évident, pendant tout ce temps, des observateurs éclairés, dont les ethnologues – les Sami ont désormais voix au chapitre. C’est en Europe que ça se passe.

 

Où vivent les Sami ?

Au cours de la sixième histoire de La Reine des neiges, Andersen envoie Gerda et le renne Bae à la rencontre d’une Laponne hospitalière et d’une Finlandaise clairvoyante. Ils sont donc sur la bonne voie, celle du Lapland et du palais boréal. Et nous voilà, par la fidélité d’une innocente et les infos de mouettes bavardes (mais il faut lire Snedronningen), en Laponie, dans le Sapmi disent plutôt les Sami. Et il faut passer de la poésie à la géographie pour voir clairement où tout cela se trouve : au septentrion de la Scandinavie et de la Russie occidentale. Une assez vaste zone, qui va du littoral norvégien à la péninsule de Kola. Le cercle polaire arctique passant au nord du golfe de Botnie, il ne la circonscrit pas, puisqu’elle descend jusqu’en Norvège et en Suède centrales. Les Sami nomadisaient large, indifférents aux frontières des États modernes. Jusqu’à ce qu’avec leur géométrie nationale, leurs ambitions industrielles et minières, le chemin de fer, Norvège, Suède, Finlande et Russie les aient rattrapés, puis aient segmenté un territoire dont les rennes seuls commandaient l’extension.

paysage campagne en Laponie

Stefan Volk/LAIF-REA

 

Ce qu’ils sont et ce qu’ils ne sont pas

Tout d’abord, les Sami ne sont pas des Lapons, terme dérivé du suédois et signifiant à peu près loqueteux. Ils ne sont pas non plus des Vikings. Voyageurs terrestres venus de l’Oural à l’Âge du bronze, leur implication dans un phénomène méridional, tardif et, surtout, maritime, est faible. L’aventure des marchands-pirates scandinaves, qui débute vers le VIIIe siècle de notre ère, ne les concerne qu’à la marge. De façon plus ou moins forcée, les Sami ont fourni aux Vikings des peaux, dont ceux-ci faisaient le commerce. Leur origine lointaine est sibérienne. Le génome a parlé. Et, puisqu’il est question de parler, la langue qu’ils utilisent n’est pas germanique comme l’était le vieux norrois des Vikings. Depuis la nuit des temps, les Sami ont été chasseurs et éleveurs de rennes. Cueilleurs en chemin ; ne dédaignant pas de capturer hareng ou brochet pour varier les protéines. Bien entendu, au cours de leur longue histoire, ils ont entretenu des relations extérieures. Avec les Finnois notamment qui, comme eux, élèvent des rennes et parlent une langue finno-ougrienne.

Mains homme en Laponie

Jérôme Galland

 

Vie traditionnelle : les rennes

Les Sami sont donc éleveurs de rennes. En Norvège et en Suède, ils ont l’exclusivité de cette activité pastorale. On les imagine mal sans Rangifer tarandus. Eux-mêmes d’ailleurs y tiennent essentiellement, même s’ils sont peu nombreux désormais à accompagner l’animal dans sa migration. Et on ne saurait faire grief à ces derniers reindeerboys de suivre leurs troupeaux à motoneige. Un vrai prestige reste attaché à cet élevage. Une identité. Le renne a été un important facteur de développement dans l’Europe du paléolithique. C’est le réchauffement du climat qui l’a cantonné dans son domaine actuel. Les Sami l’ont d’abord chassé. Ils ont ensuite pratiqué un élevage semi-domestique laissant une grande liberté aux animaux (cette évolution serait contemporaine de la formation des monarchies modernes). Les troupeaux étaient rassemblés périodiquement dans des enclos afin d’en prélever ce qu’il fallait. Ou de marquer les jeunes, le statut social s’évaluant en rennes. Un élevage de reconnaissance et d’accompagnement, en quelque sorte. Le nomadisme y avait sa raison. Pour le service logistique des éleveurs, ou leur prestige, certains individus étaient apprivoisés. Ils tiraient et portaient. La viande de renne est particulièrement saine ; elle constituait (et constitue toujours) un apport nutritif d’excellente qualité.

Renne tirant un traineau dans la forêt

Jérôme Galland

 

Vie traditionnelle : des paysages sacralisés

Bien qu’ils comptent sans doute aujourd’hui parmi les plus fervents chrétiens de Scandinavie, les Sami ont longtemps conservé leur religion traditionnelle. La bascule s’est faite entre le XIe et le XVIIIe siècle. Avant le luthérianisme actuel, il y avait le très ancien culte de l’ours (que les missionnaires ont combattu de façon farouche). Les chamanes allaient et venaient entre monde et arrière-monde pour un soin, l’avis d’un esprit, la mémoire d’un homme ou d’un fait. Le tambour magique, meavrresgarri, les menait à la transe. Ils étaient essentiels à l’équilibre de leurs communautés. Des sacrifices et des offrandes se pratiquaient. À cette fin, on choisissait des endroits propices. Les sieidi étaient des objets naturels remarquables – parfois des artefacts – identifiés comme points de passage entre les mondes. Les roches ont fourni au nomadisme same beaucoup de ces lieux sacrés. L’île Ukonkivi, sur le lac Inari, en Finlande, en est un bel exemple. La pierre sacrée Nordkapphornet, au cap Nord, en Finlande, un autre. Ainsi, le paysage same est-il à plusieurs dimensions.

 

feu de camp aurore boréale

Scandinavian Adventures / Lapland Event

 

Vie traditionnelle : le ramage et le plumage

Une autre manifestation de l’esprit chamanique est le joik. Chanté autrefois a capella, il connaît un regain et a suscité l’intérêt de musiciens électro. C’était une espèce de signature musicale personnelle et la possibilité d’évoquer toute chose au monde. Potentiellement, chaque réalité avait son joik. Il se pratique bien entendu en same. Les langues sames appartiennent donc à la famille des langues finno-ougriennes, au nombre desquelles on trouve le hongrois ou l’estonien, mais aussi l’oudmourte. Sur la dizaine de langues sames, une seule est encore parlée at large : le same du nord. Normalisé dans les années 50, il a un statut officiel dans tous les pays scandinaves. C’est le same de l’enseignement, de la presse, de la radio et de la télévision. Et de la signalisation routière. Il s’écrit avec l’alphabet latin un peu aménagé. En Russie, on utilise de la même manière l’alphabet cyrillique. Autre signe, le costume traditionnel. Un peu comme en Écosse, il présente une base constante et de multiples variations indiquant l’appartenance régionale, le statut social, etc. Le chapeau d’homme des quatre vents est particulièrement emblématique. Ainsi aussi le beaska, manteau en peau de renne, et surtout la vareuse ornée gakti. Comme tous les vêtements symboliques, ils perdent de leur vérité lorsqu’on les extrait de leur contexte. Ou qu’on les fabrique spécialement pour les visiteurs. Néanmoins, nul, s’il n’est pas Écossais, ne se formalise de porter un tartan fantaisie.

 

forêt paysage de la Laponie

Jérôme Galland

 

Perspectives

Ça n’a l’air de rien, mais les studios Disney, pour Frozen, se sont adjoint une équipe de conseillers sames. Cela dénote que l’esprit de sérieux marque des points dans l’utilisation de la culture et de l’image des Sami. Dans un autre domaine, le mémorial de Steilneset, à Vardo, en Norvège, commémore le procès en sorcellerie de 1621, qui prononça quatre-vingt-onze condamnations contre des accusés en majorité sames. Il n’est pas indifférent que cette installation ait été réalisée par des gens du calibre de Louise Bourgeois et Peter Zumthor. La cause same avance avec son temps. Le samediggi – parlement same – de Karasjok, en Norvège, ceux de Kiruna, en Suède, et d’Inari, en Finlande, permettent de relayer les avis, propositions et demandes. Tout n’est pas parfait, loin de là, et le risque est réel que ces assemblées n’aient qu’une fonction prétexte, mais elles existent. Et peuvent contribuer à une intégration plus nuancée des Sami à leurs États respectifs (ce qui renforcerait la robustesse de ceux-ci). Elles peuvent aussi entretenir les liens transfrontaliers et pousser à restaurer l’ancienne liberté de circulation. Bref, les Sami vivent au XXIe siècle. Ils n’habitent plus sous l’ancienne tente lavvu, ni dans la hutte goahti. Celles-ci servent au camping ou sont devenues des expériences dont profitent les touristes. L’implication des communautés sames dans la gestion du voyage en Laponie est d’ailleurs de plus en plus grande. Elle joue un rôle de régulateur bienvenu. Depuis quelques décennies, la culture des Sami gagne des espaces nouveaux. La littérature de langue same appartient désormais au paysage scandinave et la musique, on l’a dit, trouve sa place dans le concert électronique des nations. De Nils-Aslak Valkeapää à Mari Boine ou Sofia Jannok, en passant par Rawdna Carita Eira, les choses ont pris de l’ampleur et gagné en l’audience. Quant aux rennes, ils transhument encore – moins librement sans doute, mais où la liberté a-t-elle gagné du terrain ? Ils sont l’objet de soins attentifs et assument toujours une fonction importante de marqueur identitaire. Alors ? Alors ce n’est plus le relatif entre-soi de l’isolement et de l’inhabitabilité, pour les autres, d’un territoire. C’est l’engagement dans le monde d’Internet, de l’ubiquité et du bouleversement climatique. Les Sami font face au défi des turbulences. Ils en ont vu d’autres. Et ils peuvent toujours, pour se reposer, retourner un moment aux troupeaux qui paissent méticuleusement la toundra. Là, on respire.

Visages d'enfants en Laponie

Lola Akinmade Åkerström/imagebank.sweden.se

 

Par

EMMANUEL BOUTAN

 

Photographie de couverture : RolfAasa/Getty Images/iStockphoto