Thaïlande

En Thaïlande, marchez, respirez, méditez

En Thaïlande, marchez, respirez, méditez

 La France découvre les vertus de la méditation. Un retour sur soi capable de charger d’ondes positives la journée qui commence. Dans les pays d’Asie, on suit depuis la nuit des temps ce chemin de sérénité. Il est possible, au cours d’un prochain voyage, d’en pratiquer les fondamentaux. Au monastère de Chom Thong, par exemple, à deux pas de Chiang Mai, dans le nord du royaume.

 

« La route est longue, pas toujours facile, mais au final, tu verras que la méditation t’apporte un équilibre et un bien-être incomparables ». Promesse, dans un français impeccable, d’un religieux en toge safran croisé par hasard dans les allées fleuries du monastère de Chom Thong. Quinqua au regard affuté cerclé de lunettes, il travaillait dans son agence de tourisme à Bangkok. Il a fait découvrir la Thaïlande à des milliers de Français, raison pour laquelle il a appris leur langue. Un jour, fini tout cela, oublié le cocktail de bienvenue, l’excursion en autocar climatisé, l’hôtel à prix serrés, petit déjeuner buffet compris, la boutique de souvenirs et ses rétro-commissions. Stop. Direction le monastère qu’il fréquentait depuis longtemps pour ses enseignements. Une semaine chaque année, comme le font nombre de Thaïlandais. Le voici devenu petit nouveau dans une communauté de 200 moines et nonnes qui occupent ce vaste ensemble dont les premières pierres ont été posées en 1450 et qui n’a depuis cessé de grandir. Pour deux raisons : son cœur battant, le petit temple qui abrite une relique du Bouddha, un fragment d’os, plus sacré, on ne connaît pas ; ainsi que la renommée de quelques âmes bien éclairées qui professent ici la méditation. Résultat, l’endroit fait référence en la matière.

 

Enseignement spécial méditation

Une éternelle tradition veut que les monastères thaïlandais ne ferment jamais leur porte et accueillent sans poser de question qui sollicite quelques nuits protégées par l’énigmatique sourire du Bouddha. Un peu comme chez nous, la gamelle du bout de table attendait le pèlerin suivant son chemin de croix. Ce bon plan de routard est assez peu éventé pour ne pas avoir été galvaudé.

Quand les voyageurs troquent leur sac-à-dos contre une valise à roulette tirée sur le marbre des palaces étoilés, le temple et son monastère deviennent lieu de sagesse, d’inspiration et même d’éducation. La pause y est toujours possible.

Détail dans un édifice religieux en Thaïlande

Cnisanu Liengpan/PixHound/stock.adobe.com 

En Thaïlande, une bonne quinzaine de monastères délivrent un enseignement spécial méditation. En trois clics sur Internet, la liste s’affiche à l’écran. Dans leur immense majorité, les aspirants au savoir sont bien entendu thaïlandais (35 sur les 50 qui se relaient en permanence à Chom Thong) mais la porte est grande ouverte pour les étrangers (Japonais, Coréens, Anglais, Hollandais, Australiens…) qui en font la demande préalable. Elle est obligatoire, par mail ou téléphone, puisque ces cursus exigent plusieurs journées de présence sur place. Le monastère doit donc gérer les hébergements à la manière d’un hôtel. Savoir encore que les hommes et les femmes sont logés dans des bâtiments distincts. L’abstinence, vertu monacale, devient également celle des retraitants.

 

Le séjour est gratuit

Les spécialistes de l’affaire soutiennent qu’il faut au moins trois semaines d’initiation assidue pour devenir un méditant acceptable. Le monde tel qu’il tourne contraint souvent les futurs sages à ne rester qu’une dizaine de jours maximum. Se contenter de trois ou cinq jours est une hypothèse à laquelle les hommes de foi accordent leur bénédiction. Ils admettent qu’on veuille juste « voir comment ça se passe » avant de poursuivre. Ou pas. Une fois ces terrestres banalités résolues, bonne nouvelle, le séjour, enseignement compris, est gratuit. Une donation lors du départ manifestera la reconnaissance de l’ex-ignorant et lui attirera bien évidemment les grâces du ciel.

Auparavant, sa seule obligation est de se conformer à la règle monastique. D’abord, s’habiller de blanc. Plusieurs boutiques opportunément ouvertes à l’entrée du monastère vendent pour trois fois rien (5 euros la tenue complète) de quoi faire bonne figure en tenue immaculée. Chasuble et sorte de sarouel pour les femmes, veste et pantalon de coton pour les messieurs. Non, jeunes gens, le marcel à grandes échancrures, désolé mesdames, le jean slim façon seconde peau, fussent-ils blancs, n’entrent pas dans le vestiaire monastique.

Enfin, remise de la clef de sa chambre. Il s’agit d’une vraie pièce indépendante, lit planche de bois sur laquelle on étend un fin matelas puis une couverture, placard de rangement, réfrigérateur et pack de bouteilles d’eau. Un espace sanitaire avec salle d’eau, lavabo, douche et toilettes complète le royaume des entrants. Quelques rares chambres disposent même de l’air conditionné, un luxe inattendu dans cet univers qui prône l’ascétisme en damnant le confort ouaté des hédonistes.

 

Aller de l’avant

Le soir même, les arrivants sont conviés à une cérémonie d’accueil, s’asseoir en tailleur s’il vous plait, mains jointes et écouter. Quelques mots en anglais, une prière en thaï, des sourires… Bienvenue au club des étudiants vêtus de blanc ! Surprise, ils ont tous les âges, sont de toutes les provenances, exercent toutes les fonctions. Prof de fac, institutrice, médecin, maman avec sa fille, infirmière, retraité, étudiante, voyageur entre deux ailleurs, architecte, mamie sans âge, jardinier, artiste-peintre, chômeur, conducteur d’autobus… Autre étonnement, personne n’arrive ici pour apaiser une vilaine passe, burn out, rupture amoureuse, licenciement, échec dans les études, crise de la cinquantaine, maladie, etc. Au contraire : tous débarquent avec la ferme intention d’aller de l’avant, d’ouvrir leur esprit à des territoires insoupçonnés.

deux hommes qui marchent en thailande

Espen Helland/stock.adobe.com

La vie quotidienne du monastère est affaire personnelle. On vient à Chom Thong en totale liberté pour en suivre la règle avec les largesses qu’on lui accorde. Aucune porte n’empêche de sortir et d’aller flâner dans la petite ville qui entoure temple et monastère, un modèle de bourg thaïlandais totalement dans son jus avec mini-marchés, street food et pétrolettes surchargées de tout, enfants compris. S’habiller de blanc, ne pas voler, n’agresser personne et suivre l’enseignement donné composent le minimum à respecter, en vertu d’une prescription affichée en grand devant le réfectoire. Plus délicat peut-être, se contenter de deux repas chaque jour, petit déjeuner servi à 6 heures, déjeuner à 11 heures. Tables collectives, plateau à alvéoles, riz et banane garantis, mastication silencieuse, chacun fait sa vaisselle. Et puis, c’est tout… Le moine bouddhiste n’est en effet pas autorisé à s’alimenter entre midi et le lever du soleil. En outre, la buvette de la maison ne sert aucun alcool et fumer sa clope dans le jardin passerait pour totalement indécent. Certains enfilent donc un jean pour aller en griller une dans un recoin sombre du village. Tout le monde ferme les yeux, même si cela reste peu conforme à l’esprit des lieux.

 

Respirer et marcher avec concentration

Chaque jour, le retraitant rencontre l’enseignant qui lui est désigné. Place aux instructions ! Avec les étrangers, l’échange d’une trentaine de minutes se déroule en anglais. Sont alors confiés deux travaux de base : respirer et marcher. Fastoche ? Hum, hum, sauf quand on le fait en se concentrant fermement sur les mouvements du ventre puis ceux des pieds, en les décomposant avec une extrême lenteur, pour s’en imprégner, avant de recommencer, inlassablement recommencer. Dix minutes chaque activité et on reprend du début ! Aujourd’hui, on s’y essaye comme on peut et avec la meilleure des bonnes volontés. Demain, on fera le point avec son prof qui allongera le temps d’activité à 15 minutes, la respiration puis la marche, la respiration, la marche, respiration... Demain, 20 minutes, etc. Aucun devoir, pas la moindre surveillance, zéro sanction à redouter. Avec cette pratique mille fois répétée, régulièrement enrichie de nouvelles suggestions et précisions, pointe disent ceux qui savent, une incomparable sérénité personnelle, pendant que s’ouvrent des perspectives ou des états inattendus. On les croit sur parole. Ils rassurent aussitôt en précisant que les grandes illuminations ne se manifestent qu’après des années et des années d’assiduité. Quand elles apparaissent. Alors, patience, écoute et détermination. Respirer, marcher, respirer, marcher. Juste s’imprégner du geste, en viser la perfection.

 

 

Alchimie du bonheur

Dans le monastère de Chom Thong, les moines sont âgés de 8 ans à 95 ans comme le vénérable sage des lieux. Phraphrommongkhon, sept décennies passés ici, a un CV long comme son nom au rayon méditation. Un maître, un demi-dieu pour le peuple bouddhiste. La preuve, à peine intronisé, le nouveau roi de Thaïlande, Rama X, s’est précipité pour venir le saluer. Toujours bon pied et excellent œil, le vieux méditant donne audience chaque matin, écoute, répond, remercie pour les offrandes. Avec sa communauté, il cultive des savoirs enseignés par Bouddha il y a vingt-six siècles puis développés par d’autres méritants. Ils guident non vers d’improbables miracles (le Nirvana, on verra plus tard) mais révèlent un équilibre de vie, laissent entrevoir une sérénité possible, apportent une distanciation bienvenue par rapport à ce qui nous entoure.

On repart du monastère un peu ébloui des capacités de l’esprit humain, un rien curieux de cette pleine conscience qui effacerait la matière, capable sans prévenir de nous offrir un bouquet de toutes les couleurs. Pour la communauté de Chom Thong, il s’agit simplement de l’alchimie du bonheur.

Allez, on reprend : une respiration lente et réfléchie, quelques pas méticuleusement ralentis… Mission accomplie.

 

Par

JEAN-PIERRE CHANIAL

 

Photographie de couverture

GIULIO DI STRURCO