Seychelles

Île Denis, une certaine idée du paradis

Île Denis, une certaine idée du paradis

Parmi les 115 îles que comptent les Seychelles, Denis a le statut d’exemple, de modèle. Singulière, authentique, vraie…, les compliments s’accumulent. Ses fans en redemandent et réservent d’une année sur l’autre. Première île-hôtel de l’archipel (depuis 1977), elle mise sur le retour à la nature initiale, celle d’avant la découverte, et sert d’écrin à un établissement 100% charme et simplicité. Gagné. Voici le super plan qu’on se refile entre initiés.

 

Le téléphone, les mails, la télé ? Sur Denis, on oublie. Pareil pour la clef des chambres, il n’y en a jamais eu. Les amateurs de planque ultime débarquent ici après 30 minutes de vol (privé) depuis Mahé, l’île capitale du pays. Vol assuré par un coucou miniature, façon Tintin en aventure, il se pose sur une piste tracée dans l’herbe, atterrissage vrombissant, serviettes fraîches, un verre d’eau de coco… Bienvenue sur ce domaine aussi bien caché que protégé, le secret le mieux gardé de l’océan Indien. Un sourire plus tard, voici le reste du monde mis à l’écart, avec ses infos continues, ses courses folles et ses rendez-vous pressés. Pause.

 

Ballet multicolore

Même le port de la montre n’est pas une obligation. Qu’en faire lorsqu’on paresse à l’abri de sa villa, vue grand large sur toute la palette des verts et des bleus de l’océan Indien ou bien qu’on cherche les coquillages abandonnés par la marée sur une plage infiniment vide ? Quelle heure espérer quand on pique une tête dans le lagon clair (on peut préférer la piscine), un masque et c’est un aquarium grandeur nature qui improvise son ballet multicolore ? Quelle trotteuse observer en pédalant sur les chemins de corail glissés sous la forêt de cocotiers, badamiers, takamakas, banyans et filaos ? Quel temps mesurer à regarder sternes, fous, frégates, noddis et paille-en-queue griffer le ciel de leur vol gracieux, à parler aux tortues géantes et centenaires qui ont fait de ce confetti (1,8 kilomètre de long, 1,3 de large), leur royaume éternel ?

 

Kathy, Micky et Alan

Cette divine alchimie du bonheur version Robinson, celui dont on rêvasse sur les bancs de l’école, est signée Mason. Famille Mason, s’il vous plaît. Ici, on ne plaisante pas avec le respect dû aux générations qui se succèdent sans faillir sur l’archipel et « font » les Seychelles depuis deux siècles et demi. Respect.

Kathleen (« ici, on m’appelle Kathy, c’est plus simple » et Micky ont fait décoller le tourisme dans leur pays. Aujourd’hui, les manettes de l’entreprise sont solidement tenues par Alan, le fils. Deux hôtels (Denis donc, ainsi que le joli Carana, sur Mahé) et la plus grosse agence réceptive locale, Mason’s Travel, composent le coquet patrimoine familial. Une saga ordinaire ? Non. Car Kathy et Micky habitent depuis 1996 sur Denis, l’île qu’ils venaient alors d’acheter. Et ça change tout.

Jungle de l'île de Denis

Denis Island

 

Le moucherolle paradisiaque

Outre leur maison, ils y ont construit vingt-cinq villas, chacune 100 m² minimum, jouissant d’une parfaite intimité derrière les haies végétales fleuries. Ils ont entamé ce grand œuvre pas tant pour espérer la fortune en roupies que pour partager ce qu’ils considèrent être leur trésor. Comme ils en détiennent les cordons, alors ils libèrent l’imaginaire et les savoir-faire : ils veulent redonner à Denis son lustre initial, celui que « découvrit » Jean-François Sylvestre Denis, comte de Trobriant en 1773. A cette époque, les capitaines se contentaient d’envoyer une chaloupe à terre pour ramener un peu d’eau après avoir planté le drapeau frappé des fleurs de lys, ce qui ancrait alors cette terre improbable au royaume de France. Personne n’habitait sur place, l’affaire était donc entendue. Pour le couple Mason, ainsi fallait-il éliminer les nuisibles, retrouver les essences locales, introduire les oiseaux chassés par des marins sans scrupule, des Anglais sans doute, entretenir les chemins vite mangés par l’exubérance de l’Equateur… Fait. Magnifiquement fait, le moucherolle paradisiaque, la fauvette, le fodi et la pie rouge-gorge gazouillent à nouveau sous les lataniers.

 

Ferme bio

Et puis, il importait de donner à l’île l’autonomie qu’elle mérite en créant une véritable ferme bio avec jardin et potager, lait, viande, fruits, légumes. Micky veille et passe à l’œuvre : « nous assurons l’approvisionnement total du restaurant. Nous vendons même nos excédents à Mahé, il paraît que notre viande vaut celle qu’on importe d’Australie ! », révèle-t-il, pas peu fier.

Enfin, restait à ravir les amateurs d’immaculé, de nature et de simplicité, sans leur infliger des conditions de bagnard. Alors Kathy joue les maîtresses de maison. Chaque villa dispose d’une grande terrasse, d’un mobilier tropical avec lit XXL, d’une vaste salle d’eau ouverte sur l’extérieur, d’une deuxième douche en plein ciel, d’un espace massage pour qui le souhaite, pieds dans le sable et vélos juste devant la porte. Service sur le même registre et restauration comme à la maison.

Les vacanciers adorent cette ambiance quasi familiale, sans chichi ni prise de tête. T-shirt, sandales, maillot de bain, Eres ou Vilebrequin c’est mieux, mais Swatch plutôt que Rolex, font le costume du jour. Le pantalon et la jolie robe contribueront à l’élégance du dîner. Un shot de rhum des Seychelles, il est probablement 22 heures, vient l’envie d’aller rêvasser sur sa terrasse, main dans la main, le nez dans les étoiles.

plage à Denis Island

Ivan Verzar/Denis Island

 

Clowns, demoiselles, anges…

Demain, ce sera paddle. A moins qu’une petite plongée entre coraux et bancs de poissons clowns, demoiselles, anges ou chirurgiens… Une sortie sous la toile, c’est possible aussi, à l’heure du couchant, coupette en main, comme une partie de tennis, à moins que ne rien faire… On avisera après le tour de l’île à bicyclette, en passant par le petit cimetière marin garni de stèles cabossées, paix aux âmes des Marie-Jules Frichot, Marlène Gendron et tant d’autres que gardent les flamboyants ainsi qu’une chapelle frappée de sa croix de bois.

Ah, pas mal non plus, la sortie pêche au gros. Johnny, le vieux capitaine, visage buriné et regard de ciel, déniche à coup sûr les bancs d’affamés, thons, bonites, thazards, espadons, marlins. Le combat sera rude. On pique, selfie s’il vous plait, et on relâche aussitôt. Prière de savourer. On ne touche pas à « l’esprit de Denis ». Kathy, Micky et Alan veillent.

 

Par 

JEAN-PIERRE CHANIAL

 

Photographie de couverture

DENIS ISLAND