Jordanie

Les Wadis de Jordanie

Les Wadis de Jordanie

Vallées encaissées et tortueuses, caractéristiques de la géographie du pays, les wadis de Jordanie réservent aux voyageurs bien des formes et bien des formats. Certains vont à la mer Morte, d’autres naissent et disparaissent dans le contexte minéral qui leur donne un cadre. On les fréquente à la saison sèche, lorsque les crues qui les envahissent et les façonnent en hiver ne sont pas à redouter. Ils sont alors humides sans excès, frais, fréquentables en famille et agrémentés d’une végétation inattendue dans un grès en tourmente. Une sélection.

 

  1. Wadi Mujib
  2. Wadi Bin Hammad
  3. Wadi Assal
  4. Wadi Numeira
  5. Wadi Ghuweir
  6. Wadi Araba
  7. Wadi Rum

 

L’oued, ou wadi, a des éléments permanents, une vallée, une cuvette, un canyon, et un inconstant : l’eau. C’est, disons, l’encaissement d’une rivière intermittente. Les intervalles saisonniers de l’eau peuvent être longs, mais lorsque celle-ci vient, elle roule généralement sans égard pour son lit, le déborde, le transporte. Il ne la contient pas. Elle ne semble le creuser que pour le déplacer. Une espèce de poésie d’érosion. En règle générale, les écoulements dans l’oued sont modestes, voire nuls. La source de son ennoiement est brutale, mais brève. Déserts et semi-déserts ont des oueds. On le comprend. La Jordanie détient toutes les conditions pour. On peut la considérer sous cet aspect. Elle n’y perdra pas. Du fameux Wadi Rum à d’anonymes étranglements de roches tendres (quoi que la toponymie ignore peu de choses), ce motif tellurique est au premier rang des séductions du pays. C’est donc envisager un voyage en Jordanie sous le bon angle que de poser la question des wadis. D’ailleurs, le Sîq, le défilé d’accès à la cité nabatéenne de Pétra, est un oued, dont le cours originellement puncheur a été détourné par un canal de dérivation.

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Wadi Mujib

Le Wadi Mujib donne sur la mer Morte. Il offre un paysage spectaculaire de plateau qu’entaille un étroit canyon. C’est vertical et tourmenté. Les variations d’ocre et de beige caractéristiques de la palette chromatique jordanienne se démultiplient sur les parois. La présence permanente d’eau entretient une riche biodiversité. Ainsi le site est-il classé réserve de biosphère. On y trouve des acacias et des orchidées, des tamaris, des lauriers-roses, des palmiers dattiers. Parmi les mammifères, le caracal, l’hyène rayée ou le loup y cherchent pitance. Le vautour percnoptère aussi, du coup. Lorsqu’on randonne - car les sentiers sont nombreux dans ce complexe minéral - les chances de les rencontrer (ou les malencontres) sont rares. Ils sont farouches et peu soucieux de croiser les bipèdes à hiking shoes. Lesquels bipèdes se déplacent d’ailleurs avec un guide qui sait le secteur mieux qu’eux et les garantit contre toute menace. La principale étant le profil du relief. Cependant, on va aisément dans le fond, où l’on trouve cascade de vingt mètres de haut et piscines naturelles. Portions en eau aussi, qu’il faut passer parfois en puissance, surtout à contre-courant. Le ouadi Mujib, avec sa profondeur, son resserrement, l’eau qui y coule en permanence correspond-il à la définition de l’oued ? Oui, sur un plan vertical. La roche présente les évidements en forme de conque opérés par les flux d’eau. Lesquels flux étant de volumes très différents en périodes sèche et humide. Et, puisque les Jordaniens l’appellent wadi !

ouadi Mujib

Getty Images/iStockphoto

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Wadi Bin Hammad

Entre le Wadi Mujib et Karak, où se trouve un fameux château fort croisé - le Krak des Moabites - le Wadi Bin Hammad a bien du charme. Un, parce qu’il n’est pas envahi par les visiteurs. Deux, parce qu’il est accessible. Et trois, parce qu’il est progressif. La route qui y mène révèle un paysage ample et dramatique. L’entrée du site est payante. Ce qui est rare, mais bon, l’argent contribue à un bel état des lieux. On descend d’un chaos assez ouvert dans une formation qui se resserre progressivement, jusqu’à n’être plus qu’une faille étroite dans la roche. Ici à nouveau, le grès s’est laissé tourmenter par les poussées de l’eau et montre sur ses flancs des volutes qui peuvent sembler baroques. L’humidité est diffuse, qui entretient en encorbellement une abondante végétation. Par endroits, celle-ci occupe très touffue les parties hautes, ombrageant tout le creux. Le soleil joue dans les palmes, qui laissent filtrer une lumière papillonnante. La promenade est facile. La visite de ce wadi s’envisage très bien en famille. Elle peut même devenir une initiation au canyoning pour les enfants : longueur deux mille mètres ; dénivelé cent mètres. Brefs rapides pour le coup de frais et secteurs en eau peu profonds, nulle violence. Quelques bons tobogans naturels qui ne provoquent que fierté sans effroi chez les petits. Une cascade de quatre mètres de haut est à franchir, c’est la seule difficulté. Le personnel du domaine aide à passer outre. La suite est délicieuse.

Ouadi Bin Hammad

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Wadi Assal

Il se trouve entre Potash City et le Wadi Numeira. On y entre par la sortie ! C’est assez large alors. Bordé par de lourds murs de pierre, dallé d’ardoise. Un peu d’eau coule dans le fond mais, dans l’ensemble, Wadi Assal est sec. La roche dorée est par endroits cristalline, beige et noire. En cheminant facilement, on avise des zones qui ajoutent à ces tons dominants, du gris, du rouge et du jaune. Petit à petit, les murs se rapprochent et se festonnent, ils se mouvementent. L’eau de rencontre prend un peu de profondeur. Jamais assez cependant pour aller au-dessus du genou. Elle roule quelques petits bancs de galets. Profitant de la situation, des figuiers sauvages et de rares palmiers. Et puis deux minces cascades. Dont on use comme rafraîchisseurs. Comme dans toutes ces formations, la lumière (ou son absence) influe sur la perception des textures, pâles et crémeuses ici, brunes et grumeleuses là, friables et jaune acide ailleurs. Toutes ces variations ont aussi pour vertu de préserver les randonneurs d’une lassitude qui pourrait les gagner au trajet aller et retour.

Ouadi Assal

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Wadi Numeira

Wadi Numeira se trouve un peu à l’est des bassins d’évaporation du sud de la mer Morte. Dès l’entrée, marquée par une énorme pierre suspendue en linteau, on est frappé par la majesté des lieux. Que des laisses malheureuses dans les premiers hectomètres, abandons de visiteurs indifférents au cadre dont ils ont pourtant profité, ne parviennent pas à amoindrir. On aura plus d’indulgence pour les amoureux qui évaluent leurs sentiments à cette grande échelle en y gravant leur nom. Rapidement, un étroit corridor, puis un élargissement. Sur le fond coule, non pas une rivière, mais un petit ru. On y mouille ses chaussures, mais pas plus. Les parois de grès montent haut, avec des stries et des renflements, des embrassements énormes. Le soleil de biais en tire des effets dorés ou roses, violacés. A la bonne heure, on ne serait pas étonné de sentir passer des djinns. En certains passages, le rocher a un swing qui a enregistré le mouvement de l’eau. Et ces dimensions de cathédrale naturelle provoquent une espèce de vertige lié au temps : combien en a-t-il fallu à l’eau pour creuser et façonner tout cela ? Pour que la pierre prenne la forme du mouvement. Le grès n’est pas le granit, mais tout de même ! La randonnée, six kilomètres aller et retour dans le canyon, ne présente pas de difficulté insurmontable pour une personne en forme standard.

Ouadi Numeira

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Wadi Ghuweir

Cet oued est sans doute la bonne option lorsqu’on est à Dana, au sud de la mer Morte. Il est isolé dans un paysage minéral bousculé, qui passe de l’ocre jaune à des roches presque noires vers l’ouest, où il se prolonge dans le Wadi Feynan (qui reçoit aussi le wadi Dana). L’oued Ghuweir est, outre cela, préservé. Une fois passés les désormais inévitables tags et inscriptions votives de l’accès. On les laisse rapidement derrière soi. D’abord, le paysage est évasé, souple (on y rencontre acacias et lauriers-roses). Puis, il se redresse et se resserre. Les quelques difficultés de l’itinéraire sont dans cette portion, dont un mur d’un peu plus de deux mètres - équipé désormais de prises de franchissement. Ce n’est pas du tout insurmontable, mais il y faut un peu d’attention. Ici est aussi le plus spectaculaire du parcours. Le soleil fait un show, allumant des ocres rouges, des bruns dorés, jouant des ombres et des éclats de lumière, égarant des rayons. Aux issues les plus étroites, on sent que l’eau doit rouler des épaules pour passer, le rocher en porte les traces en creux. Ces larges assiettes ont aussi quelque chose de doux et de balancé qui contraste avec la masse des falaises. Après le défilé, l’oued s’ouvre à nouveau. Des fougères, des joncs, des palmiers occupent les pentes. De faibles ruissellements entretiennent l’humidité qu’il faut. On échappe à la chaleur. Avec la conscience qu’on garde des vastes mouvements de pierre où le wadi a ménagé son cours anguleux, être ici, dans cette tiédeur de jardin, relève du privilège. On peut alors rebrousser chemin. Ou poursuivre jusqu’à Feynan à travers un paysage désormais large, aride et sombre.

 

Ouadi Ghuweir

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Wadi Araba

Toujours au sud, à la frontière jordano-israélienne, le Wadi Araba appartient au Grand Rift. Ici plus de gorges étranglées, ni de petit ruisseau. Un désert ouvert. Et, ce qui n’est pas fréquent en Jordanie, de hautes dunes de sable. Dont le vent raye la surface légère avec délicatesse. La gamme de tons va d’or à cuivre, ocre profond. L’état du ciel étant généralement responsable des variations chromatiques au sol. Le saxaul blanc pousse par-ci par-là complètement ébouriffé. Ailleurs, des montagnes brunâtres et colériques s’élèvent brusquement, comme chancelant un peu. Puis, après un bref effort, laissent place à un vide horizontal, faiblement mamelonné. Une végétation rampante et discontinue, oscille entre vert pâle et gris. Les véhicules qui se risquent par ici sont les dromadaires et les automobiles. Les premiers racontent l’histoire des Bédouins et les routes des sables. Les secondes aussi, dans une certaine mesure, mais elles ne paraissent pas arpenter un territoire, comme le font les méhara. C’est ainsi que le désert se vide.

Ouadi Araba

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Wadi Rum

Contigu à l’Araba, le Wadi Rum en est comme l’amplification. Plus vaste, plus varié, plus sec, plus célèbre. Il est inscrit au Patrimoine mondial de l’humanité. C’est un oued authentique, patiemment creusé par l’eau dans le grès et le granit du sud jordanien. L’érosion y est allée de toutes ses forces pour créer grottes, falaises, arches naturelles, spirales. La roche a pris des formes souvent étranges de pilier - le site monumental dit The Seven Pillars of Wisdom - ou de nuage. On trouve ici le plus haut sommet de Jordanie, le djebel Umm ad Dami, près de mille neuf cents mètres. Dans le wadi Rum central, le djebel Rum, ne lui cède qu’une centaine de mètres. De nombreuses parois proposent aux adeptes de l’escalade de quoi faire la démonstration de leur art. Quant aux teintes, elles sont une infinie variation sur un thème ocre. De gris, jaune à orangé vif et rouge, ou noir de suie. Des pétroglyphes en grand nombre documentent dix mille ans de présence humaine. A remonter le temps à travers ces gravures sur roche, on découvre des environnements qui n’avaient rien à voir avec celui d’aujourd’hui. Une agriculture, des villages, de grandes chasses. Le wadi Rum d’aujourd’hui a tout de même une faune, pas pléthorique mais adaptée. Le renard afghan et le loup gris s’y nourrissent. Et le bouquetin de Nubie. Un programme de réintroduction de l’oryx est en cours. Cet espace splendide est bien sûr ouvert à la randonnée, à laquelle les membres de la tribu bédouine Zalabieh fournit des guides hors pairs et un soutient logistique. Au nord du secteur protégé, une autre tribu, les Zweideh, a également troqué l’élevage caprin pour le tourisme. Afin de se donner une image du wadi Rum, on peut regarder le film de David Lean, Lawrence of Arabia, qui, depuis 1962, a fait au désert une belle publicité.

Ouadi Rum

Gijs Hovens/Getty Images/iStockphoto

 

Par

EMMANUEL BOUTAN

 

Photographie de couverture : AdobeStock