Israël

Sur les traces d'une rencontre

Sur les traces d'une rencontre

Pour montrer qu’au-delà de ce qui les sépare, Israéliens et Palestiniens se ressemblent suffisamment pour pouvoir se comprendre, JR à la photo et Marco au stylo, ont réalisé en 2007, sans autorisation, la plus grande exposition d’art urbain au monde, Face2 Face. Des portraits d’Israéliens et de Palestiniens, exerçant le même métier, ont été collés face à face, dans des formats gigantesques, des deux côtés du mur de séparation. Parce que voyager c’est aussi s’intéresser au monde qui nous entoure et mieux le comprendre, Voyageurs du Monde entreprend de proposer à ses clients  dans un même document, Israël et Palestine, pour un hymne à la tolérance et à la paix. Tourisme et art,  deux modes d’ouverture aux autres… De cette rencontre est née cette brochure. Entretien avec ses auteurs…


De l’art au tourisme…

 

Lorsque l’idée de participer à un projet touristique s’est présentée, notre première réaction a été de rappeler la règle : « nous ne collaborons pas avec les entreprises, cela fausserait notre démarche. ». Très vite, nous avons été confrontés à une contradiction « vous pressez les gens de se rendre sur place mais comment font ceux qui ne savent pas comment passer d’un côté à l’autre, où loger à Naplouse puisqu’aucun voyagiste au monde ne propose de visiter les deux côtés». Sans réponse, nous avons révisé notre règle.

Ainsi, après le projet artistique nous accompagnons un projet touristique. On nous pose déjà la question : « Cela changera-t-il la situation sur place ?  » Un de nos amis nous a dit avec humour : « La guerre n’a pas réglé le conflit, ni les négociations, le terrorisme a été un échec, la non-violence ne marche pas, les projets où des Israéliens et des Palestiniens jouent au football non plus. Il faut absolument essayer le tourisme, vous tenez la solution ! » et il a souri… Evidemment, pas plus qu’un travail artistique, l’afflux de voyageurs ne va résoudre les problèmes, mais le tourisme est un facteur de prospérité économique et d’échanges culturels qui est aujourd’hui nécessaire.

 

Stéphane Khémis : Messieurs bonjour, Voyageurs du Monde lance une brochure exceptionnelle, étonnante, étrange même parfois : Israël-Palestine.

Comment avez-vous eu l’idée, vous Jean-François, de lancer pareille entreprise ?

Jean-François : L’idée m’est apparue il y a 5 ou 6 ans. Nous programmons des voyages dans 120 pays dans le monde, je trouvais normal de proposer Israël et intéressant d’imaginer la destination en dehors des circuits de pèlerinage. J’avais envie que l’on s’intéresse à ce pays comme à un autre. Dans cette logique, proposer la Palestine était une évidence. J’avais eu l’occasion d’y circuler et mon expérience était loin des clichés négatifs. Pourtant, lorsque j’ai évoqué ce projet, on m’a pris pour un fou furieux ! C’était osé, tellement osé que pendant 4 ans, il n’a pas vu le jour. Nous sommes passés à l’acte grâce à mes deux complices et amis, lorsque j’ai découvert l’exceptionnelle opération qu’ils avaient menée là -bas.

Enfin, je considère qu’au-delà de l’activité économique, le voyage permet de rencontrer, d’échanger, de démystifier l’autre. Quel plus beau voyage alors que de tenter de démystifier la Palestine et Israël, en proposant ces deux destinations ensemble. Cela fait partie des valeurs fondamentales de notre entreprise que d’essayer de promouvoir l’universalisme et la tolérance entre tous les peuples et toutes les religions.

 

 

Marco, JR quel a été précisément votre rôle dans cette aventure ?

Marco : JR et moi avions l’expérience de Face2Face. Elle nous avait permis d’observer la réaction des deux populations quand elles sont confrontées à quelque chose de très intime : leur propre image. Au départ, nous appréhendions. En passant à l’acte, nous nous sommes rendus compte que les gens acceptaient sans problème d’afficher la photo de l’autre sur leur maison. C’était plus simple que nous l’imaginions et cela ouvrait de nouvelles voies. Le projet touristique de Voyageurs du Mondeest une façon de prolonger cette dynamique au-delà du projet artistique, pour que chacun puisse vivre cette expérience.

JR : En tant qu’artiste, j’étais heureux d’avoir initié un projet créatif. Les photos collées ont donné envie à des dizaines d’artistes de venir voir puis de laisser à leur tour une trace, à la manière du mur de Berlin. Avec Face2Face, nous avons invité les deux peuples à se rencontrer à travers les photos. Montrer c’est déjà démystifier. La démarche de Voyageurs du Monde complète lanôtre, de manière plus sérieuse. Faire voyager c’est inviter les gens à aller voir par eux-mêmes. 

 

Vous souhaitez une nouvelle fois mettre face à face le coiffeur palestinien et le coiffeur israélien ?

JR : Ou le touriste français face au coiffeur israélien! Ce qui est possible pour un Européen, ne l’est pas forcément pour un Palestinien ou un Israélien. Il faut saisir cette chance de pouvoir circuler librement d’un côté et de l’autre comme nous l’avons fait. C’est l’occasion unique de se forger sa propre idée, de sortir des clichés, et donc de faire avancer les choses. 

 

Il n’y a pas beaucoup d’exemples de voyages Israël-Palestine. Qu’est ce qui peut vous motiver à mettre en place un projet qui semble presque impossible ?

Jean-François : Le moteur de ce projet est d’utiliser le tourisme pour favoriser la paix. Tout d’abord essayer de modifier des esprits formatés par les clichés  véhiculés par la télévision et qui se résument généralement à la situation particulière de la bande de Gaza. Ces images ne correspondent pas à la réalité dans l’ensemble des Territoires. La circulation en Cisjordanie est très facile ! A Naplouse, à Ramallah, on ne tombe pas sur des terroristes à chaque coin de rue. Les solutions techniques de la paix existent mais elles ne peuvent se mettre en place qu’à condition que les mentalités changent et abandonnent la peur de l’autre. Je crois que faire circuler des Européens à travers ces deux pays va leur permettre de se rendre compte que la situation n’est pas aussi caricaturale, mais aussi que ces deux peuples ont énormément de points communs, et une fraternité profonde. 

 

Jean-François, ce n’est pas un voyage Israël-Palestine qui va débloquer la paix. N’y a-t-il pas une certaine naïveté dans cette volonté de proposer un voyage pour réconcilier des peuples qui ne s’entendent pas ?

Jean-François : D’abord, j’aime la naïveté, car elle porte le monde et l’humanité au-delà de ses instincts basiques. Je crois au contraire, qu’en emmenant les gens à la découverte de l’autre, nous pouvons changer la situation. Il existe d’ailleurs d’autres projets que le nôtre qui tentent de rapprocher Israéliens et Palestiniens. A Bethléem, Marco a invité ses amis israéliens à passer de l’autre coté des barrières. Ils ont ainsi constaté que les conditions de sécurité étaient tout à fait normales, qu’il y avait des écoles dans tous les camps, que ce n’était pas un no man’s land. C’est en changeant les esprits par petites touches, là-bas et chez nous, que nous ferons évoluer la situation.

 

Après tout, est-ce bien votre affaire?

Jean-François : Ce n’est pas notre affaire, mais celle de tous les humains, de créer une civilisation plus évoluée que celle de la préhistoire. Je ne pens pas que le voyage puisse résoudre le conflit, il peut simplement rapprocher les esprits, les aider à mieux se comprendre. C’est notre rôle en tant que voyagistes d’y contribuer. Et même si ce changement ne concerne qu’une minorité, nous resteront un grain de sable utopiste et positif.

«Je ne pens pas que le voyage puisse résoudre le conflit, il peut simplement rapprocher les esprits, les aider à mieux se comprendre.» Jean-François Rial

 

Quels sont les intérêts touristiques de ce type de voyage ?

Jean-François : Tout d’abord cette destination dispose de toutes les infrastructures touristiques nécessaires et une grande partie de la population parle français ou anglais. Des deux cotés, vous trouvez des routes, des bus, des chauffeurs de taxis, des hôtels. Il y a même des hôtels de charme. A Sebastya par exemple, à côté de Naplouse, nous avons dormi à côté d’un temple romain, dans un petit hôtel charmant, construit à cheval entre une mosquée et une église. Certains pays aux structures développées n’offrent pas le même niveau de prestation. Ensuite, il faut y aller pour les paysages : la Palestine est composée des paysages de la Bible. Côté israélien, ils ont un peu disparu sous les constructions mais là, entre Hébron et Jéricho, les panoramas sont vierges et de toute beauté, ce sont ceux qui nous ont fait rêver en regardant Lawrence d’Arabie. Et puis les intérêts spirituels et géopolitiques sont géniaux. Il est possible d’aborder une multitude de sujets, vous êtes en présence d’un patrimoine culturel époustouflant, datant de toutes les époques. Enfin, la dimension économique est extrêmement intéressante à observer des deux côtés. 


Marco : Il existe mille raisons de faire ce voyage. Je peux en citer quelques-unes : faire une partie de backgammon dans un bar de Naplouse. Prendre le téléphérique à Jéricho, et une fois là-haut, déguster un café en admirant la vue. Visiter un monastère où il fait frais et se laisser conter son histoire. Se promener à Ramallah et essayer les quelques bons restaurants de la ville. Et surtout parce que dans dix ans, ce ne sera plus une destination originale !

 

Vous êtes en train de me dire qu’il n’y aucun risque à entreprendre pareil voyage ?

Marco : Voyager n’est jamais sans aucun risque, que ce soit en Argentine, aux Etats-Unis, ou dans le sud de la France. En revanche, voyager en Palestine et en Israël est beaucoup moins risqué que vous ne l’imaginez. Je ne parle pas de Gaza qui est un cas particulier. Le vrai risque serait plutôt de ne pas entreprendre ce voyage et de rester sur des idées reçues. Le risque de parler d’un sujet que l’on ne connaît pas et de subir les informations au lieu d’aller les chercher directement. 

 

La première difficulté d’entreprendre ce voyage, serait donc de se purger le cerveau de ses idées fausses sur Israël-Palestine ? 

JR : Le plus dur dans ce voyage reste de se dire : j’y vais ! Une fois sur place, tout paraît plus simple. Il y a trois ans, au début de Face2Face, nous étions engoncés dans nos idées reçues. Par exemple, nous n’imaginions pas pouvoir coller nos photos sans nous faire kidnapper ! Par ailleurs, je m’attendais à aller au milieu du désert et j’ai été surpris par l’architecture et la modernité de la Palestine. Même les camps de réfugiés sont beaucoup plus construits que je ne l’imaginais ! Etre sur place nous a également aidé à mieux comprendre le conflit. Là-bas, j’avais l’impression de maîtriser le sujet, alors qu’en France j’ai toujours peur d’utiliser les mauvais mots. Au final nous avons passé des moments exceptionnels et sommes rentrés avec des coups de soleil ! Rien d’héroïque ! 

 

Comment faire pour oublier tous ses préjugés ?

Jean-François : Il n’y a pas 50 solutions : il faut se rendre sur place. Partir à la rencontre de ces deux peuples. Ceux qui vivent dans les camps comme dans les luxueuses villas. Il faut, par exemple, rencontrer le directeur de l’université de Bethléem, un prêtre américain qui rassemble sous le même toit étudiants chrétiens et musulmans. Plus les gens iront dans ces pays et plus, à leur retour, ils raconteront ce qu’ils ont vécu, ils expliqueront qu’il est possible de voyager en famille, qu’il est possible de passer d’un côté à l’autre, de vivre une soirée magnifique dans une ville hyper branchée comme Tel Aviv ou Ramallah, deux villes très proches de ce point de vue.


En me rendant en Palestine est-ce que je ne me fais pas complice de l’occupation israélienne ?

Marco : L’occupation israélienne fait partie des choses à voir, à découvrir, tout comme un touriste va à Cuba,  au Kenya, ou au Maroc sans forcément cautionner le régime en place. Beaucoup de régimes, y compris lenôtre, sont discutables.

« Connaître cette expérience, en ayant encore toute une vie à se forger les idées, c’est un bon point de départ pour se construire. » Marco

Il s’agit simplement d’aller constater par soi-même une réalité, de passer du temps agréable avec des gens intéressants, de les comprendre et aussi de leur apporter quelque chose, c’est un échange culturel. La question politique de savoir si on cautionne quoique ce soit en se rendant là-bas, n’a pas plus de raison de se poser au Proche-Orient que pour n’importe quelle autre destination touristique. 

 

Avec qui peut-on entreprendre ce voyage ? Son épouse, ses enfants, ses parents, à qui est-il destiné ?

Marco : Avec tous ceux qui ont soif de découverte, ceux qui ne vont pas seulement dans les endroits qu’ils connaissent déjà, et ne partent pas uniquement avec les personnes qui partagent leurs idées. Personnellement, ce serait avec mes enfants, qui ont 18 et 21 ans, car c’est un horizon passionnant pour des jeunes. L’occasion de découvrir un territoire extrêmement riche, au niveau culturel, religieux, humain. Connaître cette expérience à cet âge, en ayant encore toute une vie à se forger les idées, c’est un bon point de départ pour se construire. 

 

Chacun d’entre vous peut-il me donner son itinéraire préféré dans ce voyage Israël-Palestine ?

JR : J’aime commencer par Jérusalem, c’est une façon de se plonger directement dans l’ambiance. Entre Jérusalem Ouest et Est, on ressent déjà la cohabitation des deux communautés. En passant d’une rue à l’autre, on distingue bien les deux religions. Pourtant ce sont les mêmes fêtes, les mêmes cortèges de mariage qui se succèdent ou se croisent sans se regarder. Il existe également de grandes similitudes entre les deux cultures, sur le plan culinaire notamment. Ensuite, je passe le mur, ce n’est pas plus compliqué que de franchir la porte Maillot aux heures de pointe. Je commence par un tour dans Bethléem puis je finis la soirée à Ramallah, la ville la plus branchée du moment ! Le lendemain, direction Haïfa, un exemple intéressant de vie intercommunautaire entre Arabes-israéliens et Israéliens. 

 

Marco ? Votre itinéraire ? 

Marco : Je suis fasciné par les lieux religieux : le Saint-Sépulcre, la Nativité, les mosquées d’Omar et d’Al-Aqsa, le mur desLamentations. Certaines personnes parcourent des milliers de kilomètres pour arriver ici. Sur ces vieilles pierres, ils viennent confier un secret ou prononcer un vœu. Nul besoin d’être croyant pour partager la ferveur de ces gens, venus d’Italie, d’Espagne, d’Allemagne, de n’importe où en Europe. C’est quelque chose de magique !Parmi d’autres endroits extraordinaires, il y a Haïfa. Une ville mixte, où se trouve un superbe temple Baha’i posé sur le mont Carmel. La montagne ici ressemble à une montagne suisse. Ensuite, il faut voir le désert israélien, et enfin, à nouveau côté palestinien : Jéricho. J’aime cette ville et aussi le téléphérique du mont de la Tentation qui rappelle celui d’une vieille station de ski, ce décalage est très enrichissant. Au sommet on trouve une installation désuète mais une vue superbe.

JR : J’ajoute que le type qui presse les oranges au départ du téléphérique, a les plus grands pieds du monde ! (Rires). Il figure dans le livre des records et collectionne les articles et photos consacrés à ses pieds. L’humour est très présent en Palestine et en Israël. C’est une autre raison d’y aller. Les habitants tournent constamment leur situation en dérision. Ils ont raison car au fond : comment faire la paix en faisant la gueule ? 

 

Et le vôtre Jean-François ?

Jean-François : A travers tous mes voyages, j’ai rencontré peu de pays comme ceux-ci, où tout est intéressant. Je pense qu’il ne faut pas faire trop d’étapes dans un voyage, il faut arrêter de consommer des kilomètres et profiter des lieux. Je commencerais donc par Jérusalem, ville époustouflante, en dormant dans un vieux monastère chrétien, dans la vieille ville. C’est formidable, le plus beau quartier en terme architectural ! J’y passerais deux à quatre jours avec peut-être une journée à Hébron. Ensuite, j’irais à Naplouse, pour moi la plus belle ville antique de Palestine. Son patrimoine architectural et culturel est étonnant. On y rencontre notamment les fameux Samaritains, reliquat de l’Antiquité. A voir également, Sébastya, petite ville avec son temple romain et ses ruines grecques, bordée de paysages de rêve. Ensuite, je passerais le check-point au nord de Naplouse, pour rejoindre Tel Aviv et y passer quatre jours. C’est l’une des villes au monde les plus branchées, les plus festives, les plus intéressantes et les plus avancées sur le plan artistique. Voilà,  ça fait un beau panorama.

Propos recueillis par Stéphane Khémis co-fondateur du magazine L’Histoire