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La route panaméricaine : traversée ultime des Amériques

La route panaméricaine : traversée ultime des Amériques

Attention, voyage d’exception. Ou comment effectuer la traversée complète des trois Amériques, depuis l’Alaska jusqu’en Patagonie. Compter entre 30 000 et 40 000 kilomètres, une bonne année, une cascade d’imprévus et mille émotions inoubliables. Heureusement, à la manière du pèlerinage de Saint-Jacques de Compostelle, cette route mythique peut être déroulée en autant d’étapes qu’on veut…

 

Chantres du tourisme formaté, des excursions chronométrées et du tout inclus, y compris la sérénité, passez votre chemin. Voici un itinéraire pour amoureux d’évasion folle, voire téméraire, une irrépressible envie de sortir du cadre rêvé sur les bancs de l’école, réalisé en se moquant de la sagesse, de la raison et autres balivernes du monde ordinaire.

 

Alaska-Canada-USA-Mexique-Guatemala-Salvador-Honduras-Nicaragua-Costa Rica-Panama-Equateur-Pérou-Chili-Argentine.

 

Demain, on verra bien

Cette route bénéficie actuellement d’un joli privilège : elle est « faisable » à quelques détails et embûches prêts, contrairement à ses concurrentes virtuelles. La légendaire piste Alger-Le Cap est désormais réservée aux plus que téméraires ou aux mercenaires. Quant à la nostalgique Paris-Pékin, elle reste réalisable à condition de contourner la zone Afghanistan-Pakistan et de s’armer d’une patience d’ange face aux obligations administratives dantesques qu’imposent les pays traversés.

Au moins, la Panaméricaine (ou Transaméricaine) offre-t-elle un immense souffle de liberté. En promettant tous les ingrédients du voyage hors-normes, feu d’artifice grandiose d’une épopée vagabonde, elle porte quand même son lot d’obstacles et de frayeurs. L’aventure, la vraie, en somme. Ses adeptes insistent, il faut la préparer avec la minutie d’un horloger suisse. Ou bien se lancer avec insouciance, nez en l’air et œil aux aguets, improviser face à la difficulté du jour puis savourer le bonheur qui suit. Demain, on verra bien.

Route en Alaska

Ml Haring/Getty Images/iStockphoto

 

Du 4X4 au vélo

Pour en résumer l’essentiel, savoir que cette route improbable a été imaginée puis tracée au fil des années 1920-1940. L’idée était grisante : réaliser un ruban de bitume filant depuis les confins de l’Amérique du nord jusqu’à la pointe sud du continent. En clair, de Prudhoe Bay (Alaska) à Ushuaia (Argentine). Depuis sa mise en service, le délire s’est emparé de la classe « Routards purs et durs » dont les membres se disputent la gloire d’accrocher la « Transam » à leur palmarès, du moins à la semelle de leurs pataugas.

Les plus huppés roulent en 4X4 flambant neuf mieux aménagé qu’une suite 5-étoiles, douche intégrée, réservoirs sur-mesure, liaison Wi-Fi, caisse de stylos pour les écoliers et année sabbatique posée, s’il en faut une deuxième, on avisera ; d’autres la jouent rétro, vieux combi retapé avec les moyens du bord, tapissé d’autocollants, date de retour perdue au fond du calendrier, génie du bricolage exigé ; sur le même registre, noter quelques illuminés au guidon de leur moto-cross, obligation de connaître sa mécanique sur le bout des bougies mais chances de réussites proches du nul ; et puis, les mantras du retour à l’essentiel imposant leur mode, voici qu’apparaissent depuis quelques années les marcheurs, les coureurs, les VTTistes, aucune folie n’est épargnée, les adeptes ont du souffle mais dépassent rarement l’Amérique centrale.

Ushuaia

LMspencer/stock.adobe.com

 

Douze autres pays à traverser

Sur le territoire des Etats-Unis, l’affaire est assez simple. Du reste, il n’existe pas de route officielle, joliment balisée, comme peut l’être la Route 66. Tous les itinéraires sont bons pour conduire d’Alaska jusqu’à Sans Antonio (Texas). Le plus direct consiste à passer par Edmonton (Canada), puis filer vers Calgary ou bien Minneapolis avant de mettre cap plein sud pour franchir le rio Grande, la frontière avec le Mexique. Cette entré en matière nordique ne présente aucune difficulté majeure. 

Ensuite, ça se complique. Reste en effet à traverser le Mexique donc, puis le Guatemala, le Salvador, le Honduras, le Nicaragua, le Costa Rica, le Panama, la Colombie, l’Equateur, le Pérou, le Chili et l’Argentine ! Ces pays subissent des contraintes climatiques qui obligent à passer d’une ambiance équatoriale saturée d’humidité aux plateaux andins situés à plus de 4 000 mètres d’altitude à la sécheresse légendaire. Les mécaniques souffrent. Par ailleurs, certaines économies défaillantes délaissent l’entretien de la route. Les suspensions adorent nids de poule, caillasse et talus emportés par des pluies diluviennes. Enfin, ne pas négliger les aléas politiques qui font bouillir le sang chaud latino, pas plus que les contrôles inopinés des polices locales jamais en retard d’une infraction inventées vite oubliée moyennant un petit billet, sans parler de quelques gangs de la route, trop heureux de croiser celle d’étrangers confondus avec des agences bancaires.

 

Enfants sur un cheval en Colombie

Matthieu Salvaing

 

Le bouchon de Darien

Magie assurée avec le franchissement du canal de Panama. Trois ponts majestueux le permettent en ouvrant grand les portes de l’Amérique latine. Hélas, 230 kilomètres plus avant, le grand rêve américain est écorné par les 87 kilomètres qui n’ont jamais été finalisés sur cette route de légende. Ils manquent entre Yavisa (Panama) et Chigorodo (Colombie). La raison : un immense territoire de jungle particulièrement hostile. Aux alligators, serpents minute et mygales velues s’ajoutent guerrilleros de tous bords, trafiquants sans foi ni loi, marécages à rester prisonnier de la boue, forêt impénétrable…, sans le moindre espoir de secours au cas où. Donc, il faut trouver une alternative, généralement cargo pour les véhicules et avion pour les passagers. Dans les deux cas, ajouter une fortune au budget initial. Les initiés appellent cette barrière infranchissable « le bouchon de Darien ».

Passé l’obstacle, direction Cali (Colombie) puis Quito (la capitale de l’Equateur posée à 2 850 mètres d’altitude), Lima (Pérou), Antofagasta (porte du désert d’Atacama au Chili), Valparaiso également au Chili où commence la traversée des Andes, 1 800 kilomètres Ouest-Est, le long de la sublime Ruta 7 qui gagne Buenos Aires en Argentine. Encore un petit effort, 3 000 kilomètres quand même sur les routes cabossées de Patagonie, et pointe Ushuaia. Ouf ! Commander un verre de sauvignon frappé ainsi que des pinces de crabe géant, c’est mérité.

Canal de Panama

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Victoire silencieuse

Reste l’essentiel, la fantastique épopée que promet cette route qui, selon ses différents itinéraires nord-américains coule sur 25 000 kilomètres minimum et jusqu’à 45 000 quand on se sent l’âme vagabonde. Elle évolue entre highway rectiligne sur des dizaines de miles et chemin de traverse cabossé quand les pluies équatoriales s’en mêlent. Ici, elle est US 89 (Montana) ou bien Route 5 (Chili), Route fédérale 150 au Mexique, RN 3 en Argentine. A l’heure des GPS, peu importe, ces nuances alimenteront une belle collection de selfies.

En se montrant pragmatique, considérons qu’il faut une bonne année pour accomplir le trajet en voiture (véhicule spécialement conçu et aménagé obligatoire) dans son intégralité, à condition de ne pas rencontrer de problème majeur, mécanique, humain, politique, ce qui est rare. Evidemment, il est hors de question de rouler après la nuit tombée.

Une bonne formule consiste à diviser ce chemin de foi en une dizaine (une quinzaine ?) d’étapes et de reprendre à l’endroit même où s’est interrompue la précédente. L’expérience comme l’envie d’y arriver, forgent la meilleure des motivations.

Un détail quand même : à Ushuaia, il n’existe actuellement aucun comité d’accueil pour les vainqueurs de la « Transam ». Pas le moindre tampon n’est apposé sur le passeport des héros. Cette victoire est solitaire, discrète, silencieuse. La grande classe.

 

Par

JEAN-PIERRE CHANIAL

 

Photographie de couverture : Edwin Remsberg/ZUMA/REA